Eruption volcanique...

Publié le par RabbA

Bizarrement, j'ai ensuite arrêté de relater cette expérience professionnelle quelques peu déconcertante et peu reluisante, je n'ai pas non plus continué la rédaction de la suite des événements de nouveau sur Londres. Bon, je ne vous cache pas qu'un livre est en cours d'élaboration... Cependant, deux ou trois autres articles sur Londres et sur un magazine pour lequel j'ai pigé s'ajouteront bientôt dans cette catégorie de mon blog.

Vendredi 25 février 2005

21h30, le temps passe à la vitesse d’un escargot sous Valium, je m’ennuie à mourir dans la salle de montage, vautré dans un fauteuil en train de regarder Jérôme assembler avec Elise, monteuse, l’émission du samedi 4 juin, la soirée bowling de Relent Gravos se déroulant trop tard, ils ont repris le reportage de l’année dernière en le modifiant quelques peu. Quand j’affirme qu’avec l’image, on peut faire gober n’importe quoi à n’importe qui, je ne me trompe pas. C’est ma seule réflexion à cette heure-ci, obligé d’attendre qu’ils aient terminé de monter pour que Jérôme corrige mon plan de montage, et qu’il me parle de la Suisse. Soraya est là aussi. De temps en temps, on se regarde en levant les yeux au ciel, les minutes passent, seule action palpable qui nous sort de notre torpeur pour Soraya et moi : prendre les clés sur le bureau d’Hervé et aller à l’étage du dessus chercher une bouteille d’eau pour le maître. Malheureusement, nous échouons dans notre mission, la serrure est coincée, impossible d’ouvrir la porte et de mettre l’Euro dans la fente de la machine à boissons, c’est le drame. Par chance, malgré cet incident, ma compagne de pot de fleurs réussit à s’enfuir vers 23h, moi pas, j’attends, saoulé sans avoir bu, agacé de ne rien faire, il m’arrive de sortir un "Ah ouais, j’aime bien comme ça !", toutes les quinze minutes à peu près lorsqu’une séquence montée est visionnée, je préviens en même temps que je ne dors pas. Il est 1h du matin quand, enfin, monseigneur Jérôme est disposé à m’accorder du temps pour corriger le plan de montage du sujet César. On se dirige vers son bureau, sa télé est allumée sur Sans Aucun Doute de Julien Courbet.

"- Après, Fabien, on ira grignoter un truc, faut qu’on parle de la Suisse.

- Ok."

C’est horrible, en le suivant dans son bureau, je me sens tellement annihilé que je ne sais même plus quoi répondre. Il ne se rend pas compte qu’il use tout le monde dans cette boîte.

"- Alors, montre-moi ton plan."

Je m’exécute.

"- Qu’est-ce que c’est que ça ?

- Bah, c’est mon plan ?

- Non, mais attends, tu vois bien que rien n’est dans l’ordre, non ?

- J’en sais rien.

- Quoi t’en sais rien ? On dirait que tu t’en fous ?"

Et bien, dans mes pensées, oui, je n’en ai clairement rien à battre, surtout à cette heure-ci. Mais, bon, ma réponse est autre, off course.

"- Non, mais tu me dis que ça va pas, qu’est-ce que tu veux que je te dise de plus ? Ca ne te convient pas, ça ne te convient pas, point barre !

- On va reprendre depuis le début, regarde à la télé, comment ils font."

Alors, Jérôme : pédagogie : zéro et ta comparaison entre mon plan de montage et l’émission de Julien Courbet me laisse pantois, aucun rapport : zéro. Je nage en plein délire, ma tête vacille de tous les côtés, où est la sortie, s’il vous plait ? Je n’en peux plus ! Pendant que Julien Courbet gueule dans le poste de télé, il me réécrit exaspéré un plan de montage pour demain, à chaque fin de phrase écrite comme un cochon, son stylo appuie avec force sur le poing, n’oubliant pas de lever le bras et de dire, "C’est pourtant pas compliqué !" C’en est trop, la coupe est pleine, je tente de sauver ma peau, je me lève et lui dis :

"- Pour la Suisse, tu m’appelles demain, je commence à déconnecter, je ne suis plus du tout." Je reste aimable mais j’ai rarement eu les nerfs aussi à vifs, il est 1h30 du matin.

"- Non, Damien, demain je suis sur d’autres trucs. Eh ! Ça t’arrivera souvent de terminer à ces heures-ci et j’ai besoin qu’on en discute maintenant.

- Mais, ça ne sert à rien, je capte plus rien à cette heure-ci, je suis nase !"

L’ambiance pèse lourdement sur mes épaules, je tourne la tête vers la sortie, je prends mon sac.

"- Bon ok, vas-y, mais tu sais Fabien, dans la vie, on a les ambitions qu’on a !" Me dit-il l’air très énervé !

Je finis par juste répondre "Oui, t’as raison !", je prends mes clics et mes clacs et sors direct vers l’ascenseur. Je n’ai jamais vu un boss aussi particulier qui me rend aussi nerveux. Ma colère ne transparaît pas, je ne suis pas rouge, les cheveux hirsutes, la bave au coin des lèvres, non, tout se passe à l’intérieur, le ras-le-bol est viscéral, c’est dans mes tripes que la bataille a commencé. Je crois que je suis en train de devenir dingue. Sur le chemin du retour à Franklin Roosevelt, j’enchaîne clope sur clope, je m’en fous, la fumée m’entoure, les deux dernières allumées avant d’arriver ont un goût amer. Presque arrivé chez moi, mon portable se met à sonner, c’est Jérôme, je décroche, je ne décroche pas, j’hésite … ok, je décroche :

"- Oui Fabien, c’est Jérôme.

- Oui ?

- Je tenais à m’excuser pour ce qui s’est passé, je me rends pas compte des fois, je suis tellement dans mon boulot.

Je réponds : "- Non, t’inquiètes pas, c’est moi qui m’excuse, je ne crois pas être fait pour travailler à la télé, je ne suis pas à l’aise avec l’image, le matériel, tout ça."

(Je pense : "C’est pas grave Jérôme, mais quelques fois tu ne te rends pas compte qu’on a une vie à côté, tes journalistes vont finir par péter les plombs et se barrer !")

- Mais tu me trouves trop dur des fois ?

Je réponds : "- Non, tu n’es pas un boss dur, tu es exigeant, c’est tout et c’est normal. D’ailleurs, tu fais très bien ton métier, la preuve, l’émission cartonne et la chaîne est ravie !"

(Je pense : "Oui, bien trop dur, et cynique aussi. Tu manques de stabilité et change d’avis toutes les 4 minutes. On doit s’adapter à ton  rythme de travail nocturne et accepter sans broncher sinon c’est la porte !)

- Mais tu es sur que tu ne veux pas continuer à bosser pour moi ? Je pense que t’as trop de principes qui t’empêchent d’avancer…

Je réponds : "- Non, j’apprécie ta démarche mais filmer et monter ne me font pas autant vibrer que l’écriture, je ne retrouve pas les mêmes excitations."

(Je pense : "Non merci, très peu pour moi, je manque de péter les plombs en deux semaines, alors un peu plus et je finis à l’asile. C’est vrai que tourner ne m’excite pas, mais, qui plus est, mes principes se portent très bien, ils te remercient de t’intéresser à eux et te rappellent que tu glisses sur un terrain privé.").

- Bon, ok de toute façon, on aura le temps d’en reparler à Genève. Je vais te laisser aller dormir et je t’appelle demain, à quelle heure tu seras au bureau ?

- Pas avant 15h.

- Ok, à demain, bonne nuit.

- À demain."

Et voilà, tout est dit, je monte les escaliers de mon immeuble en me demandant pour quoi je suis fais et si ce n’est pas moi qui déconne dans tout ça. Incapable de me stabiliser, avec l’envie de me barrer, je fais preuve d’une impatience légendaire, est-ce normal de ne pas vouloir bosser un week-end, de quémander pour rentrer chez soi à une heure du mat’ ? Parce que ce job n’est pas la passion profonde qui sommeille en moi ? Fabien, réveilles toi, pour quoi t’es fais ? À quoi tu sers ? Ta vie a-t-elle un sens ? Encore une expérience professionnelle qui n’aboutira à rien et après ? Trop fatigué pour réfléchir, la nuit ne m’apporte pas plus conseil que le jour. Seule info, les scientifiques n’ont pas besoin de créer de robots, nous en sommes déjà. Derrière nos carapaces d’hommes libres, nous sommes tous des Pinocchio, manipulés par des Gepetto vénals.

RabbA

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