Et viva Italia !

Publié le par RabbA

Jeudi 14 avril 2005

Je remercie la société anglaise de laisser des Cybercafés pratiquer 2 pounds par heure l’accès à Internet. Pour des recherches journalistiques, je suis un excellent client, deux jours bloqués devant un ordinateur, j’imagine les pièces tomber une à une dans les caisses pour une connexion qu’il paye 10 livres par mois. Malgré tout, j’obtiens beaucoup d’infos, plus de 500 restaurants italiens cohabitent dans la ville et, le plus drôle, un Que sais-je sur l’Histoire de Londres, écrit par Hugh Clout, précise que la capitale a été fondée par les romains en 50 après Jésus-Christ et s’appelait avant Londinium. Les italiens m’étonneront toujours ! Tout l’après-midi, je finis de récupérer des adresses et trace sur une carte les différents endroits que je vais visiter demain à la première heure. En fin d’après-midi, c’est l’apothéose, ma leçon d’Alexander Technique par Marek, vers 19h. Allongé par terre, les jambes repliées, la tête sur des livres et les mains sur le torse, il commence une procession bizarre en posant ses mains sur différents points de mon corps. Il ne manque plus que trois bougies et la musique de Ravi Shankar pour me retrouver cobaye d’un rituel de passage vaudou. Il pose sa main gauche sur le côté gauche de ma hanche et sa main droite sur mon épaule droite : 

"- Pense à la distance entre mes deux mains", me dit-il calmement. Je me retiens de rire.

Il inverse ses mains, puis il les pose sur ma tête :

"- Pense à toutes les distances entre ton crâne et tes extrémités, le bout des doigts, des orteils".

Il repasse sur le côté, appuie sur la partie droite de mon corps pour le faire balancer, part au niveau de mes pieds, qu’il soulève pour les faire tourner à gauche et à droite. Il revient derrière moi, passe ses bras sous mes omoplates et sur mes épaules et reste deux minutes, comme ça, sans bouger. Je ne dis rien et le plafond non plus. Enfin, je peux me relever, il me tient légèrement la nuque. 40 minutes plus tard, je me tiens droit, normal après tout ce temps allongé, sans bouger sur un sol dur. Encore une demi-heure plus tard, je retrouve sans grande surprise ma position quasimodienne, mais Marek croit tellement à l’efficacité de cette technique que je n’ose pas le décevoir en critiquant ces méthodes à la limite de l’ésotérisme. À 22h, un ami, Jérôme m’appelle, je décroche, allo ? Oui, ça va, je pige pour un magazine Londres Badaboum, tu connais ? … Oui ? Vraiment ? … Intéressant … Ouais … Je vois ce que tu veux dire… (Il me donne des infos sur un futur job : je devrai l’assister sur un tournage dès le 25 avril), je raccroche, s’il savait que je hais la télévision. Je reste persuadé que le meilleur moyen d’exprimer un avis fondé sur le sujet est encore de le vivre de l’intérieur. Croisons les doigts, fermons les yeux, faisons un vœu et rotons un bon coup pour que le souhait se réalise, amen !

Mardi 19 avril 2005

Today, je pars dans les rues de Londres en jeu de piste trépidant à la rencontre des italiens de Londres. Grâce à ma super carte de la ville et à Internet café à qui je laisse une fortune, je suis sur de faire de savoureuses rencontres ! Ce matin, je me trouve devant un restaurant italien assez luxueux de Notting Hill, l’Assaggi, au premier étage, juste au dessus d’un pub très classe. Je monte les marches et déboule dans un étroit couloir avec sur la gauche, une immense salle aux murs peints en saumon, aux tables finement dressées avec chandeliers et compagnie. Une jeune femme, visage anguleux et crâne rasé, se dirige vers moi. Appelons la Sigourney : 

"- Bonjour, que puis-je faire pour vous ?"

J’adore son anglais avec l’accent italien, elle tripatouille en même temps son torchon. Nerveuse ?

"- Bonjour, je suis journaliste et je travaille pour un magazine français basé à Londres. Pourrais-je rencontrer un manager du restaurant, juste pour poser quelques questions et savoir si je peux prendre des photos.

- D’accord, un moment s’il vous plait."

Elle clôt la conversation et ouvre une petite porte sur la droite, des escaliers mènent à un étage supérieur. Penchée dans l’escalier en se cramponnant à la porte, elle gueule en italien en direction des cuisines, je suppose, un homme lui répond. Sigourney revient vers moi :

"- Vous pouvez attendre deux minutes ?

- Bien sur, merci"

Effectivement, deux minutes plus tard, j’entends des pas descendre les escaliers, la porte s’ouvre sur un homme brun, la trentaine, les cheveux courts gélifiés, petit, trapu, un peu rond et mal rasé. Son uniforme de cuistot ajoute une touche finale, le charme opère. Il s’appelle Nino et me serre la main, il a une bague au doigt, merde… Je recommence mon discours de journaliste franchouille. Puis j’enchaîne sur l’interview qu’on fait debout tous les deux, dans le couloir. Mes questions m’importent peu et je n’écoute même pas ces réponses, fait semblant d’écrire sur mon calepin trois pauvres mots en anglais, ses yeux m’absorbent. Point positif, il me laisse son adresse e-mail pour m’envoyer une photo du restau … peut-être une chance d’engager une nouvelle conversation. Au revoir beau brun, retourne à tes fourneaux, je repars dans le froid londonien à la rencontre de tes collègues, j’en ai les larmes aux yeux. Retour à la réalité. Salvatore, le propriétaire du restau suivant, La Famiglia, n’est pas du tout, mais alors pas du tout du même acabit. Il doit avoir la soixantaine, une stature très imposante et des lunettes qui transforment ses yeux en calots de 20 Euros ! Mais son accueil est ultra chaleureux, à l’italienne, viens que je te tiens le bras, que je te fais de grands sourires, que te propose un café, que je t’assois à une table et que je te parle en français !!

"- Alors, vous êtes journaliste pour un magazine, c’est ça ?

- Oui, pour Londres Badaboum, voilà un exemplaire."

Il prend le magazine, jette rapidement un coup d’œil. 

"- Mais vous êtes jeune ?!", me dit-il avec le sourire.

"- 25 ans, pas tant que ça, un quart de siècle !"

Il se marre de vive voix : 

"- J’en ai 70 vous savez, je pourrais être votre grand-père ! Ici, ce n’est pas mon premier établissement, j’ai roulé ma bosse à Londres. Je suis arrivé ici dans les années 60, j’ai d’abord ouvert un club, à Chelsea, le RockHouse. J’y organisais des concerts, pleins de stars sont venues chanter là-bas, les Rolling Stones, même !"

Il lève l’index au ciel, emballé de raconter pour la millième fois sa vie. Je garde la cap sur mon article.

"- Mais vous êtes cuisinier à la base, non ?

- Oui, bien sur. Je suis né à Florence et j’ai tout appris de ma mère et de ma grand-mère, après, sous Mussolini, j’ai vécut en France, à Lyon, puis, à 20 ans, j’ai pris la direction de Londres. 

- D’accord, mais alors, comment on passe d’un club à un restaurant ?

- Oh la la ! Mon club a tellement bien marché que j’ai ouvert mon restaurant trois ans après mon arrivée en Grande-Bretagne. Dans les années 70, mon chiffre d’affaires florissant ma permis d’ouvrir plus de vingt établissement partout dans Londres, restaurants, bars, clubs, un vrai succès !

- Effectivement, on peut dire que c’est un succès !" 

On discute des plats du restau, des spécialités de Florence, j’ai droit à une visite et, avant de partir, il m’offre son livre de recettes de cuisine florentine et rien qu’à regarder les photos en illustration, j’ai bien envie de demander autour de moi qui aurait la gentillesse de me concocter certains des plats proposés. En tournant à gauche sur King’s Road, une bonne femme, la cinquantaine dans un petit boui-boui, le Mona Lisa café (une cantine italienne le midi pour beaucoup d’anglais), me fait attendre debout devant le bar pendant une demi-heure avant de me demander de repasser le lendemain à la même heure. Je prends mes clics et mes clacs et je reviendrai dans ses rêves. Je continue sur la même avenue, histoire de marcher un peu, et, par hasard, je tombe sur un tout petit restaurant italien, Buona Sera at the Jam, avec une particularité d’avoir des tables sur d’autres tables. En fait, une table est entourée d’une case en bois, sur laquelle est posée une seconde accessible par une échelle. Deux rangées alignées de chaque côté de l’allée centrale et 70 couverts peuvent être servis par soir. Gina est de Rome, tenancière de l’endroit, m’accueille avec un espresso. Elle n’a pas sa langue dans sa poche pour vous expliquer en français comment fonctionne la boutique. Enfin, en début d’après-midi, à la station Chalk Farm, je rends visite à un glacier qui continue à fabriquer lui-même, depuis sa fondation en 1931, ses propres glaces et sorbets dans une usine juste derrière le magasin. Marine Ices n’a presque pas changé sa recette depuis le début et ses ice-creams sont vraiment divines (je goûte à la banane, un délice). Je remarque dans ma profession de journaliste avoir souvent été reçu avec attention, gentillesse et sourire, mais, quelques fois, certains mauvais esprits, paranos ou suspicieux, nous accueillent la gueule de travers et l’œil policier. C’est le cas de Pescatori, un restau spécialisé dans les fruits de mer et les poissons, sur Goddge Street. Un type peu aimable, la cinquantaine sans cheveux, le visage sec et anguleux. Il me fait asseoir dans le restau peu avant 18h. J’ai droit à l’interrogatoire en anglais, alors que c’est moi qui dois poser les questions ! 

"- Vous travaillez pour quel magazine ? 

- Pour Londres Badaboum, une publication destinée aux français qui vivent à Londres. 

- Vous avez un exemplaire sur vous ? 

- Oui, bien sur, je vous le montre." 

Je m’exécute pour la énième fois aujourd'hui.

"- Vous avez une carte de presse ? 

- Non, mais vous êtes le premier de la journée à m’en demander une. Je pige pour le magazine, donc je n’en ai pas. 

- Vous n’avez même pas de contrat ou un papier prouvant que vous travaillez pour eux ? 

- Bah non. 

- Vous comprenez bien que je suis méfiant, certains se font passés pour des journalistes et écrivent ensuite n’importe quoi. 

- Oui, j’imagine, mais pour Londres Badaboum, je ne pars dans aucune polémique, de l’info lifestyle, c’est tout. 

- Mouais… 

- Et je pourrai prendre quelques photos ? 

- De dehors, oui, tout le monde a le droit, mais pas à l’intérieur. Bon ok, allez-y ! Posez vos questions." 

Que de patience et de perte de temps avec des sagouins qui se méfient des journalistes, ne t’inquiète pas mon vieux, ton restau je m’en balance comme de l’an 40 ! Je précise les meilleurs plats, les prix, l’adresse, la clientèle et basta … rien de bien scandaleux. Je peux comprendre l’exaspération de certains face à des journalistes qui cherchent la faille, le hic, le moindre défaut qui leur servirait de base à la conception de leur article, mais un minimum de courtoisie n’a jamais tué chien et chat. Le responsable accueil de l’Office du Tourisme Italien à Londres est le pire, dernière étape de la journée. Après que je sois resté devant les brochures pendant un quart d’heure comme un poireau de Carrefour, le type, lunettes, calvitie, bon ventre et œil hagard, s’approche et, en une demi seconde, me demande ce que je veux. Je lui explique qui je suis et, avant même d’avoir terminé mon monologue du style I’m a french journalist and I work for a french magazine…, il me balance quatre brochures dans les bras et me salue ! Il m’a donc accordé 20 secondes et demi de son illustre présence, quel honneur ! Viva Italia et bonjour la promotion touristique, ça donne envie !

Mercredi 20 avril 2005

Il est 11h et je raconte à Yannek mes aventures italiennes en fumant une clope devant l’entrée, lors d’un rare moment de soleil, je crois qu’il s’en fout car il me dit qu’en ce moment il a des difficultés pour dormir. Si je comprends bien, une fois dans son lit, il pense à sa respiration et celle-ci se coince, puis il pense à son cœur et il le sent battre de manière irrégulière, alors il angoisse et subit des bouffées de chaleur. Etrange docteur Freud, isn’t it ? En réalité, il doit avoir peur de ne plus respirer et que son cœur s’arrête à tel point que cela se répercute sur sa santé. Je joue mon psy franglais à deux roupies : 

"- Tu dois avoir des blocages qui, oubliés dans ton inconscient la journée, reviennent en ta mémoire au moment où tu t’endors. Tes malaises peuvent être une manifestation de frustrations cachées depuis ton enfance. Vraiment !"

Pour tout vous dire, je n’en sais rien et je dis ça uniquement pour tenir la conservation et frimer un peu. Au fond de moi, je rigole. Entre Marek, ses tocs et sa technique Krishna et Yannek et ses angoisses nocturnes, un matin, je vais retrouver le premier déguisé en Vishnou et le dexième en train de se taper un auto-massage cardiaque pour se ramener à la vie. Ambiance avec mes nouveaux amis ! Je dis au revoir à mon compagnon paranoïaque, direction le centre de Londres pour de nouvelles aventures dans Little Italy ! Première étape, la librairie spécialisée, boutique sur deux étages, vu que je ne parle, ni n’écris, ni ne lis l’italien, Ornella, la gérante, conseille deux grands auteurs pour les lecteurs : Ammaniti et Baricco. Deuxième étape en plein cœur de Soho, Bar Italia, authentique établissement sorti de la botte, typique jusqu’au bout des ongles. Fondé par la famille Polledri en 1941, c’est du 100 % made in Italy, décor de l’époque avec une immense affiche du célèbre boxeur Rocky Marcianno (un ami de la famille), de la charcuterie et d’autres produits alimentaires typiques accrochés au dessus du bar. Surtout, la star du lieu n’est pas un être humain, c’est la machine à café. La même depuis 64 ans, rouge, fonctionnant avec des leviers et une mécanique complexe, aujourd’hui introuvable dans le commerce ! Je goûte leur espresso, délicieux ! Au fond, des écrans retransmettent des matchs de football, respirez et souriez, vous êtes en Italie. Je regarde au cas où je croise mon vénérable Nino, non. Tant pis, je file ensuite à l’Institut Culturel Italien, sur Belgrave Square, ambiance coincée, rues propres, édifices classes et accueil aussi chaleureux qu’une rentrée chez les jésuites. Peu d’informations disponibles, pas de photos à l’intérieur, bref, pas le top du top. Enfin, je termine mon parcours par une virée sur Sloane Street, rue de luxe, des grands couturiers du monde entier. Je rentre dans Salvatore Ferragamo, une hôtesse adorable me donne le catalogue, me laisse prendre des photos de tout le magasin, les autres, Armani, Gucci, Dolce et Gabbana et Valentino interdisent tout cliché et me congédient. Résultat des courses après deux jours : un article assez fourni, j’espère et … une ampoule entre mes bourses et ma cuisse ! Je vous jure, au nom du nouveau pape Ratzinger qui va encore détester les avorteuses, les gays et les infidèles, que le frottement du caleçon et du jean ont provoqué une petite ampoule sur la cuisse, en face des bourses ! Incroyable mais vrai, je sais maintenant que je porte à droite et, pour le prochain terrain, je mettrai un bandage pour éviter une telle déconvenue.

 

RabbA

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article