Drogué à la télé !

Publié le par RabbA

À la télé, le meilleur moment, c’est le prime du soir, attention, le choix est toujours terrible entre une émission "Lèchebottepeople", un show solidarité-business ou un Navarro qui cherche à comprendre pourquoi Rita la prostituée au grand cœur a poignardé Angelo, le cul-de-jatte collectionneur de photos érotiques des années 50. Ce soir, j’éteins mon poste, saoulé par cette télé de névrosés, je prends un papier et un stylo et écris ces mots : Fabien voit rouge ! Télé allumée pour un esprit encombré, tant de décibels gâchées ! Illusion ! Inattention ! L’écran survolté aux sons dispersés me fout la tête au carré ! Dérision ! Marre de cette boîte à bordel, elle attire trop notre attention et nous transforme en Géant Vert sans cervelle. Nous ne sommes pas la plus grande fabrique de stars, ces djeun’s bercés par les spots et les strass des plateaux télé m’horripilent. Star Ac’ & co, je chante : Tous ces boys qui veulent être des stars d’un soir, avec leur force de désespoir, ils veulent vivre au jour le jour, histoire d’oublier l’amour. Ils sont des pros du sexe, quitte à prier en latex. Ils deviennent Carpe Diem pour ne plus dire je t’aime. Toutes ces girls qui oublient que ce sont leurs fesses qui font le fric du show-business. Elles sont starifiées et finissent scarifiées dans le caniveau, shootées à l’aspro ou liftées dans un labo. Quand elles croient ramasser l’amour, à trop se pencher, finissent par se vautrer le cul en l’air, les dents dans le bitume. Et de toutes ces histoires sans lendemain, éclosent des chansons sans refrain, avec comme unique couplet, leurs rêves effacés à jamais. Yo ! Je m’en fous de passer pour un je-ne-sais-quoi ! De toute façon, on me dit "vieux avant l’âge", "anarchiste réac’", "hors du coup et de son temps". Suis-je tout cela ? Non, ce serait trop d’honneur. En tant que "téléspectateur-veau", je subis moi aussi un abrutissement tel qu’il me rend nerveux, m’empêche de dormir et me fait oublier comme il est bon de lire, tranquille dans mon pieu. Je m’imagine entrant dans une salle communale du 16ème arrondissement parisien pour assister pour la première fois au rendez-vous hebdomadaire des "TV-Addict", une association des drogués de la télévision. La pièce est comble, remplie de plusieurs dizaine d’adultes de tous âges. Un type mal rasé, debout sur une petite scène, parle dans un micro, d’une voix forte et rauque, en harmonie avec sa grande stature sportive et ses jambes arquées par, je suppose, la pratique assidue de la moto puisqu’il porte des santiags (Raccourci facile, j’en conviens). Son jean est plus moulant que les collants de Régine, et son tee-shirt bleu est rentré avec forceps dans le pantalon. Petite lueur de délicatesse dans cet univers viril : ses cheveux. Comme Cindy Crawford en working girl, dans une pub pour un shampoing, il caresse avec délicatesse sa crinière couleur fauve, charmantes bouclettes descendant le long de sa nuque. Très eighties ! Il tourne la tête vers moi, ses cheveux le suivent une demi seconde plus tard. Mince, il m’a repéré comme une nouvelle tête, Fabien, une recrue idéale ?

"- Ah, un nouveau ! Quelle bonne surprise ! Viens me voir !"

C’est à moi que s’adresse Rahan ? Il rêve s’il croit que je vais le rejoindre ...

"- Allez, dit-il, ne sois pas timide, si tu es là, c’est que tu as un problème, comme nous tous ici." 

Tous les yeux sont braqués vers moi, la pression pèse sur mes frêles épaules, le silence est lourd, une mouche pète et tout le monde hurle de peur. Je m’avance vers le devant de la pièce, sentant les regards chuchotés à mon sujet.

"- Bonsoir, jeune homme. Moi, c’est David, le Président de TV-Addict."

Il me serre la main le sourire confiant et m’invite à prendre place à côte lui sur la scène en me filant le micro après m’avoir dit : "Vas-y présente toi au groupe !" Mon Dieu, j’ai peur. Une mouche vole au dessus de la tête d’une vieille dame au premier rang.

"- Bonjour, je m’appelle Fabien."

Toute l’assemblée reprend en chœur : "Bonjour Fabien !", puis retombe dans un mutisme funéraire… La mouche fait des piquées dans le chignon de la grand-mère, a-t-elle trouvé de quoi se nourrir ? David m’aide :

"- Ok, Fabien, dis-nous pourquoi tu es là ce soir.

- Je suis ici parce que je pense que … comment dire ? Je pense que je suis drogué à la télé."

C’est alors l’état de liesse, David me serre dans ses bras, je sens son déo douteux à base de sueur de taureau. La folie s’empare du groupe qui applaudit avec joie ! Certains se lèvent, sifflent comme ils appellent leur chien, font des "wouwouwou" endiablés ! Mamie au premier rang exulte ! La mouche s’enfuit vers la fenêtre et se cogne contre la vitre. Je me prends au jeu et enchaîne :

"- Mes très chers frères, mes très chères sœurs, j’ai trouvé ma nouvelle raison d’être : éteindre cette machine du diable, cette usine à lobotomie et vivre l’expérience du roman, de cette histoire lue ou écrite avec passion, de ces pages tournées, de ma propre participation dans le jeu de l’action ! Je ne suis pas un automate, je n’ai pas de temps de cerveau disponible pour ces foutues pubs que je ne veux plus regarder. J’invente le Mouvement Anti Télévision, le MAT, la révolution gronde !"

Tout le monde s’est levé, certains lèvent des poings en l’air, d’autres font "Ouais, vas-y mon gars !" Je serre mon micro, déambule de droite à gauche sur la scène, et leur demande :

"Entendez-vous dans les champs murmurer mes "Halte ! Zut ! Flûte !?" Quand j’arrive en ville, tout le monde va changer de trottoir ! Sentez à Châtelet les vibrations de mes pas pesés et cadencés, je suis le métro qui débarque en furie sur un quai, j’abîme toutes les affiches des couloirs à coups de peinture rose, je soutiens les cheveux cassants, les pellicules, la peau d’orange, les gros, les sourds, la bonne bouffe bien grasse, l’acné, les points noirs, le tartre, les fringues de merde, la crasse, Francis Tatane et Corbier ! Je ne suis pas catholique, et encore moins cathodique ! Qu’on nous foute la paix ! Finis la boîte des teubés ! Est-ce que vous êtes avec moi ?"

Et l’assemblée de répondre un "Oui !" puissant, général et sincère ! Je rends son micro à Rahan qui n’arrête pas de me taper sur l’épaule gauche, content comme cochon. Ma descente de la scène vers la sortie est adulée tel un Roi qui vient de gagner une guerre, le temps se ralentit, je passe près de la fenêtre, tourne la poignée pour l’ouvrir, la mouche aussi m’applaudit avant de sortir dans la rue. Il manque quelques cotillons, et allez ! Je claque la porte ! Liberté je chéris ton nom, dorénavant, ma vie a un sens… De retour chez moi, je sors de mon sac un cahier et écris ce qui servira de texte fondateur à mon Mouvement Anti Télévision : "Résiste ! Prouve que tu existes ! Lâche-toi ! Libère-toi ! Délivre-toi de ces chaînes cathodiques qui t’emprisonnent au quotidien. (À ce moment là, faire comme Bonnie Tyler dans Total Eclipse of My Heart : plier le bras, mettre le poing devant le visage et donner un rapide coup de coude vers le bas). Comme un ouragan de liberté qui souffle en toi ! Laisse divaguer ton esprit au gré de ses envies, tu verras poindre la création soudaine et délicieuse. Laisse-toi aller, éteins la télé ! Ecris ! Les mots viennent d’eux-mêmes, sans entrave, ni bouclier, oh yeah ! Sois péremptoire, combats ce mal venimeux de l’éternelle culpabilité. Non, ta télé n’est pas un animal, ce n’est pas un être humain non plus, tu peux la prendre et la jeter ! Deviens toi-même, tu vaincras ! (Refaire le geste de Bonnie mais en écartant les jambes). Que les portes d’Aphrodite s’ouvrent à toi ! Tu n’es pas rousse et ta génération n’est pas désenchantée. Que Jupiter te cède son trône pour jeter d’un bon coup de pied Jean-Pierre Fayot et son jeu pour gagner des morpions dans les profondeurs des ténèbres hertziens ! Ose chanter sous la douche tes propres louanges et imagine ta félicité, ton Paradisco ! Eh mec ! Tu as la conscience de penser à la liberté de tes opinions et de tes actes ! (Si les mots sont trop compliqués, prendre un cachet pour éviter la migraine). Dévoile ton potentiel inestimable, dépasse la réalité et écris jusqu’à en perdre haleine. Sois ton propre maître et n’aies point d’esclave. Tu es ton Dieu et ton fidèle, ton roi et ton vassal, tu te commandes et tu obéis, sois fort, sois vulnérable. Touche le fond, rebondis, exulte de savoir, jouis, pense dans la longueur et dans l’activité, dépasse le bien, le mal, ces foutues valeurs et cette morale sans fondement. Tu es complexe car tu es la somme de ton monde, de son histoire et de toi, unique et semblable à la fois. Prends-toi à bras le corps, embrasse les mourants comme les nouveaux-nés. Concentre-toi sur ce qui te fait vibrer : La vie !" (Finir en criant Aaaaayiiiih ! comme Céline Fion en plein accouchement, la main droite sur le paquet pour les mecs et sur le sein gauche pour les nanas et l’index gauche levé, très disco pour la frime.)

Pas mal non ? Mouais, bof ? Inspiration bidon ou véritable prise de conscience ? Les deux pour le prix d’un. Le lendemain, je fais une rechute. Oui, de sombres augures s’abattent sur moi, je sens  rôder dans mes cauchemars l’œil inquisiteur de Thierry Artichon car j’ai allumé la télévision, juste 5 minutes, je le jure, ça a été plus fort que du Roquefort ! C’est la dernière fois. C’est dur, la télé est un tel temple de la dépression. Publicités et émissions de société où notre monde a le hoquet et met des hic partout ! Alcoolique, phobique, hystérique, névrotique, apathique et allergique ! Les gens ont peur d’eux-mêmes, maintenant, vous pouvez être cathophobe (flippe des catholiques ? J’ai peur des cathodiques), homophobe, hétérophobe, lesbophobe, transphobe, xénophobe, agoraphobe, on trouvera bientôt chez Jean-Luc des yoghourtsgrecophobes et des larafabianophobes (pour cette dernière pathologie, les psychiatres diront qu’un an d’internement sera nécessaire pour un prompt rétablissement). L’acceptation par la majorité d’entre eux de leur condition est une résignation, une incapacité totale de réagir, presque une indifférence. Tous reprennent en chœur la phrase devenue une incantation clôturant toute conversation évolutive : "C’est comme ça". Ah ! Dieu que je déteste cette phrase ! Comme l’écrit Frédéric Beigbeder dans 99 francs : "Ils ne sont pas heureux car ils consomment". Et oui Frédo, achats compulsifs rime avec état dépressif et gosses hyperactifs ne riment pas avec parents camés au Prozac, hypocondriaques ou suicidaires, et pourtant. Si je peux permettre, t’as juste oublié la jalousie et l’envie car tous vont au salon de l’auto et rêvent de cabriolets qu’ils ne pourront jamais s’acheter. Mesdames, mesdemoiselles, messieurs ! Tous à vos caddies, ouvrons les portes du monde merveilleux de Dinistarsoft (abrévation de Disney, Nike, Microsoft et Starbucks), un lieu enchanteur qui ravit les petits et les grands. Passez une journée de folie où vous allez découvrir pourquoi cette période de l’histoire est si confuse. De ces origines dans la liberté d’entreprendre, de jouir et de profiter de son fric âprement gagné, Casimir vous fera la visite guidée avec commentaires hystériques gratis ! Voici venu le temps du pire et du chiant, la Halle aux vêtements c’est tous les jours le Printemps. C’est le caprice joyeux d’enfants malheureux, d’ouvriers gentils, oui c’est un paradis ! Tout ira bien, souriez, vous êtes filmés! Big brother vous surveille d’un œil alcoolisé par la vinasse. Vive les couloirs mécaniques empruntés tous les jours, votre chemin vers la chute est si bien tracé. La pub est là pour vous guider, la TV pour vous lobotomiser, le travail pour vous résigner et la mort pour vous terrasser. Après cette réflexion contestataire, je me couche en priant toutes les saintes vierges qui existent sur cette Terre de me convaincre que la télé n’est pas à l’image de ma société, je ne veux pas que mes futurs boulots ressemblent à Dallas ! Please, please, j’implore à genou Madonna et Britnette Sbire de faire quelque chose pour cette planète. Ma tête s’effondre sur l’oreiller et ma dernière pensée est celle d’un cuir chevelu grossi 1000 fois rempli de pellicules, comme  de grosses caillasses blanches dans une forêt de tiges noires. Effrayant…

RabbA

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B
<br /> Le rendez-vous hebdomadaire des "TV-Addict" est il filmé ? On pourrait faire une émission avec des TV accros anonymes qui passent derrière l'écran pour parler en direct de leur dépendance au petit écran... Allo Endemol, j'ai un nouveau concept d'émission à vous proposer !!
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J
Tres bon ton texte j'ai bc ri!<br /> Mais n'oublie pas une chose: "il est libre Max"
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